vendredi 27 avril 2012

Auto-référentiel avec fond musical



Le livre fini qui devient, bien sûr, l’œuvre des autres. Non plus celle des 19 auteurs qui y mêlent leurs voix, mais celles des lecteurs. 
Prenons un jeune étudiant de SOAS qui devra puiser dans son français scolaire et oublier la rave library party de la veille, pour chercher dans ces pages de quoi nourrir un devoir ou une thèse. 
Peut-être ne devinera-t-il pas que l’un des auteurs de l’introduction regrettera de ne pas avoir assez cité tel auteur (Wittgenstein peut-être), pour défendre son idée de relations de savoir. Mais il sera trop tard. A lui de deviner, de faire son chemin.  

mardi 2 juin 2009

L'histoire à côté

"Tantôt à partir de trois malheureuses écuelles de terre notées dans un inventaire après décès de manouvrier, j'étais ce manouvrier [...]. Tantôt, le plus souvent parce que la documentation les concernant était immense, je devenais un Président à mortier au Parlement[...]" (Le cheval blanc de Lénine ou l'histoire autre, Complexes, 1979, p. 48). Ce travail de l'imaginaire si bien décrit par Régine Robin, à propos de la préparation de sa thèse sur l'Auxois en 1789, fait entrer un peu de vie entre les blancs du document. A ce stade, la fiction est moins l'ennemi intime que l'allié, le consolateur, la muse d'un possible.

mardi 11 novembre 2008

"La noce des éléments"

"Le temps m'enseigne la sagesse
alors que l'Histoire m'apprend l'ironie"
M. Darwich, La terre nous est étroite, NRF
*
Darwich ne méprisait pas l'Histoire.
Les textes de son recueil, publié il y a 8 ans avec une traduction d'Elias Sanbar, sont une chronique intime de l'exil. L'Histoire y est ce lieu de la souffrance qui tend vers cette ultime frontière (une patrie ? la mort ?) peuplant les vers d'espoir, de peur et de colère. L'ironie est alors cette capacité du récitant à rire du conquérant. Le vainqueur oublie nous dit Ari Folman dans Valse avec Bachir. Le vaincu, non et son chant en témoigne. Si l'histoire est ce moment où la terre met "le feu à ses fleurs", le temps permet "la noce des éléments" ("Le poème de la terre").

Madagascar 2006


Vendredi 14 juillet, Tananarive
Archives. Je trouve des infos à creuser dans le Phare de Majunga. Point de vue européen, o lado colonial. En creux on devine des choses sur Mahabibo, le quartier indigène de Majunga.
Je grimpe jusqu'au Bon accueil à Ambatonakanga. Dans la salle à moitié vide, un italien passe de sa langue natale (avec un compatriote) au malgache (au téléphone).
Quand je redescends, à hauteur du tombeau de Rainilaiarivony, le soleil est là. La ville me semble moins triste, moins sale, moins en phase d’ensevelissement. Assis, un enfant SDF regarde les bas quartiers depuis la pente. Tout à l’heure, quand je l'ai croisé pour la première fois, il serrait un chien. On aurait dit une scène du Kid. Deux plus grands, tout aussi à la rue, s’échangent une cigarette. Celui qui s'aprête à partager avale son ultime bouffée. A la borne-fontaine, en face d’une boutique de high tech et de la villa Arnaud, un gamin boit de l’eau. Je frémis. Plus loin, de jeunes adultes concentrés improvisent un fanorona dessiné sur le trottoir. A côté de l’hôtel Anjary, là où mendiait il y a trois ans la vieille lépreuse sans nez, un type regarde soucieux une note; des Asiatiques (Chinois arrivés depuis 5-6 ans à Madagascar ?) passent, sans s'arrêter devant le restaurant Hong Kong.
16h20. Mosquée de 67 Ha. J’ai raté A. M. On me donne son numéro de portable. La salle de prière est plus que modeste par rapport à celle d’Ambatonakanga : un auvent en tôle. Mais il y a quelque chose ici de Majunga. A l’arrière-plan, sur un terrain annexe, une cinquantaine de gamins jouent au foot en une dizaine de parties simultanées : un joyeux chahut. Des plus adolescents s’acharnent aussi à taper dans un ballon de rugby, dont il ne reste plus grand chose.
Je rentre à pied, d’un bon pas pour ne pas laisser les gens se dire : « que fait ce vazaha ici ». Je dîne chez des amis. T., leur fils, me grave des morceaux de Shao Boana. Son ordinateur, acheté quand il avait 16 ans, me dit son père, est dans la chambre des parents, sous bonne garde !

lundi 10 novembre 2008

Images mentales et sens

Ces images qui traversent les veines de la pensée. L'arrière-plan chaotique alors que le document impose sa matérialité, son odeur, tout un code gestuel. Le moment où par le détail advient le sens. Ce qui nous touche et que nous allons, historiens, suivre de trace en traces, est le punctum dont parlait Roland Barthes dans la Chambre claire. Cette pointe qui nous atteint depuis la photo.

jeudi 16 octobre 2008

La ville-jeu

Chamanculo (Maputo)

Le Berlin de Döblin : matière sonore


Dans Berlin Alexanderplatz (1929), Alfred Döblin, qui éprouvait une insatiable curiosité pour le spectacle de la vie urbaine, ne produit pas uniquement une photographie, mais un enregistrement du Berlin des années 1920. Son personnage principal, l’ex-prisonnier Biberkopf, avance dans une complexe matière sonore dont le noeud orchestral est la fameuse place qui donne son nom au roman. Carnet en main, depuis plus de 20 ans, Döblin qui se détourne du bourgeois comme des pauses expressionnistes, griffonne compulsivement, tournant sans cesse la tête dans les cafés comme dans les rues, enregistre et écrit ce « tiers espace» sonore (synthèse de points de vue pour reprendre B. Westphal) si original. Sous sa plume, la ville est cette composition musicale, inédite, imprévisible, qui façonne Biberkopf, sujet malade qui, peu à peu, de reste de chants patriotiques (ruines du militarisme prussien, matrice du nazisme) en balbutiements, de dialogues monosyllabiques en digressions d'alcooliques, reprend le couloir de la parole.