jeudi 16 octobre 2008
Le Berlin de Döblin : matière sonore
Dans Berlin Alexanderplatz (1929), Alfred Döblin, qui éprouvait une insatiable curiosité pour le spectacle de la vie urbaine, ne produit pas uniquement une photographie, mais un enregistrement du Berlin des années 1920. Son personnage principal, l’ex-prisonnier Biberkopf, avance dans une complexe matière sonore dont le noeud orchestral est la fameuse place qui donne son nom au roman. Carnet en main, depuis plus de 20 ans, Döblin qui se détourne du bourgeois comme des pauses expressionnistes, griffonne compulsivement, tournant sans cesse la tête dans les cafés comme dans les rues, enregistre et écrit ce « tiers espace» sonore (synthèse de points de vue pour reprendre B. Westphal) si original. Sous sa plume, la ville est cette composition musicale, inédite, imprévisible, qui façonne Biberkopf, sujet malade qui, peu à peu, de reste de chants patriotiques (ruines du militarisme prussien, matrice du nazisme) en balbutiements, de dialogues monosyllabiques en digressions d'alcooliques, reprend le couloir de la parole.
Voir la ville : question de vitesse
Mike Davis, Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte, 2006.
Olivier Mongin, La condition urbaine, Paris, Point/Seuil, 2007.
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C’est bien ce véhicule fou qui fonce dans le mur et, peut-être, explosera avant d'y parvenir que nous présente Mike Davis. N’a-t-il d'ailleurs pas écrit un ouvrage sur la voiture piégée ? Pourtant, on aimerait que le conteur apocalyptique des errements d'une "bonne gouvernence" libérale, s’arrête, ralentisse, descende de ce véhicule. En somme, qu’il sorte un peu de la bibliothèque et du cercle des intellectuels progressistes aux justes indignations, pour entrer dans la ville du Sud - enfer dont il explore les cercles de loin, de si loin. Qu’il s’insinue dans la chair de la cité hurlante, qu’il étouffe, qu’il ait peur, qu’il sente le sol se dérober; qu'il rit aussi, et partage les colères et les utopies éphémères de la favela globale. Qu’il nomme ceux qui n’apparaissent, dans le livre, que comme des figures détachées de la horde, hors limes, qui gronde et agonise. Qu’il parle, d'homme à hommes/femmes. Mais comme dans Cosmopolis de Don De Lillo, la cadillac noire du pamphlet traverse le monde et l’homme pressé (proche en cela du technocrate de la Banque Mondiale) ne détourne pas le regard des dossiers accumulés.
Olivier Mongin, lui, conduit autrement sa condition urbaine. Le prudent véhicule apprivoise la vitesse de mort, ne customise pas le chaos. Peut-être en reste-on trop à une ville du dessus, à la Arthus-Bertrand, oubliant peut-être là aussi, l'essentiel : l'urbain. Mais Mongin, qui sait prendre son temps, ne nous perd en route, universalise le propos et discerne, malgré les signalétiques confuses qui nous sont égarrent, les moments du voyage où la chaussée s’arrange, ou du moins, peut s’arranger.
Olivier Mongin, lui, conduit autrement sa condition urbaine. Le prudent véhicule apprivoise la vitesse de mort, ne customise pas le chaos. Peut-être en reste-on trop à une ville du dessus, à la Arthus-Bertrand, oubliant peut-être là aussi, l'essentiel : l'urbain. Mais Mongin, qui sait prendre son temps, ne nous perd en route, universalise le propos et discerne, malgré les signalétiques confuses qui nous sont égarrent, les moments du voyage où la chaussée s’arrange, ou du moins, peut s’arranger.
Archives nationales portugaises
Je pense à ceux qui ont tamponné ici le monogramme T et en dessous Torre do Tombo, en bleu.
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Tout à côté, une chercheuse consulte des partitions enluminées dans un énorme manuscrit Je suis un peu ébloui et vaguement jaloux. Mes documents, paraissent si banals : rapports administratifs écrits à la machine, tampons, vague signature, en-têtes officiels. Parfois des ajouts manuscrits : précisions à l'encre claire, commentaires signés. Mais derrière beaucoup d'entre eux, les probables séances de torture de la PIDE, la Gestapo de l’époque de Salazar.
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Hall immense et vide. Une femme de ménage astique des fauteuils confortables où personne ne viendra s’asseoir avant longtemps. C’est l’été. Il n’y a que des fous pour venir s’enfermer ici; cette crypte de documents qui vous filent des démangeaisons. Des regalia sont exposés à l'entrée mais seul, le bar m’intéresse.
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Passeport de Noémia de Sousa (l'immense poétesse mozambicaine) où elle sourit et où je touche ses impressões digitais. Emouvant. Comme des reliques. Reliques au-dessus du malheur. Joie simple de ce regard, de côté. Une jeune fille qui déjoue la machine à identifier.
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Je ne demande pas la reproduction de ces photographies : assez de paperasse, d’attente. D'un cliché à l'autre, Noemia embellit, quitte son attitude d'enfant boudeuse. Fin des années 1950, la jeune femme traverse la colère et trouve un visage.
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Je ne demande pas la reproduction de ces photographies : assez de paperasse, d’attente. D'un cliché à l'autre, Noemia embellit, quitte son attitude d'enfant boudeuse. Fin des années 1950, la jeune femme traverse la colère et trouve un visage.
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La petite magasinière a toujours le pied léger. A peine lui ai-je tendu le lourd dossier qu'elle m'en donne un autre. Quel âge peut-elle avoir ? Quel est le secret de sa bonne humeur malgré l'austérité du lieu ?
Notker le bègue
Notker, le bègue dans L’histoire de France de Marc Ferro. Pauvre Notker, moine à Saint-Gall qui n'a droit qu'à une toute petite allusion pour une création si grandiose quand même : "Charlemagne, inventeur de l’école". Son nom, dans l’index arrive tout en bas. Un peu plus haut, il y la famille Nora, les Normands et la Normandie, Nrodom et en dessous, Noury Saïd.
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