mardi 11 novembre 2008

"La noce des éléments"

"Le temps m'enseigne la sagesse
alors que l'Histoire m'apprend l'ironie"
M. Darwich, La terre nous est étroite, NRF
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Darwich ne méprisait pas l'Histoire.
Les textes de son recueil, publié il y a 8 ans avec une traduction d'Elias Sanbar, sont une chronique intime de l'exil. L'Histoire y est ce lieu de la souffrance qui tend vers cette ultime frontière (une patrie ? la mort ?) peuplant les vers d'espoir, de peur et de colère. L'ironie est alors cette capacité du récitant à rire du conquérant. Le vainqueur oublie nous dit Ari Folman dans Valse avec Bachir. Le vaincu, non et son chant en témoigne. Si l'histoire est ce moment où la terre met "le feu à ses fleurs", le temps permet "la noce des éléments" ("Le poème de la terre").

Madagascar 2006


Vendredi 14 juillet, Tananarive
Archives. Je trouve des infos à creuser dans le Phare de Majunga. Point de vue européen, o lado colonial. En creux on devine des choses sur Mahabibo, le quartier indigène de Majunga.
Je grimpe jusqu'au Bon accueil à Ambatonakanga. Dans la salle à moitié vide, un italien passe de sa langue natale (avec un compatriote) au malgache (au téléphone).
Quand je redescends, à hauteur du tombeau de Rainilaiarivony, le soleil est là. La ville me semble moins triste, moins sale, moins en phase d’ensevelissement. Assis, un enfant SDF regarde les bas quartiers depuis la pente. Tout à l’heure, quand je l'ai croisé pour la première fois, il serrait un chien. On aurait dit une scène du Kid. Deux plus grands, tout aussi à la rue, s’échangent une cigarette. Celui qui s'aprête à partager avale son ultime bouffée. A la borne-fontaine, en face d’une boutique de high tech et de la villa Arnaud, un gamin boit de l’eau. Je frémis. Plus loin, de jeunes adultes concentrés improvisent un fanorona dessiné sur le trottoir. A côté de l’hôtel Anjary, là où mendiait il y a trois ans la vieille lépreuse sans nez, un type regarde soucieux une note; des Asiatiques (Chinois arrivés depuis 5-6 ans à Madagascar ?) passent, sans s'arrêter devant le restaurant Hong Kong.
16h20. Mosquée de 67 Ha. J’ai raté A. M. On me donne son numéro de portable. La salle de prière est plus que modeste par rapport à celle d’Ambatonakanga : un auvent en tôle. Mais il y a quelque chose ici de Majunga. A l’arrière-plan, sur un terrain annexe, une cinquantaine de gamins jouent au foot en une dizaine de parties simultanées : un joyeux chahut. Des plus adolescents s’acharnent aussi à taper dans un ballon de rugby, dont il ne reste plus grand chose.
Je rentre à pied, d’un bon pas pour ne pas laisser les gens se dire : « que fait ce vazaha ici ». Je dîne chez des amis. T., leur fils, me grave des morceaux de Shao Boana. Son ordinateur, acheté quand il avait 16 ans, me dit son père, est dans la chambre des parents, sous bonne garde !

lundi 10 novembre 2008

Images mentales et sens

Ces images qui traversent les veines de la pensée. L'arrière-plan chaotique alors que le document impose sa matérialité, son odeur, tout un code gestuel. Le moment où par le détail advient le sens. Ce qui nous touche et que nous allons, historiens, suivre de trace en traces, est le punctum dont parlait Roland Barthes dans la Chambre claire. Cette pointe qui nous atteint depuis la photo.

jeudi 16 octobre 2008

La ville-jeu

Chamanculo (Maputo)

Le Berlin de Döblin : matière sonore


Dans Berlin Alexanderplatz (1929), Alfred Döblin, qui éprouvait une insatiable curiosité pour le spectacle de la vie urbaine, ne produit pas uniquement une photographie, mais un enregistrement du Berlin des années 1920. Son personnage principal, l’ex-prisonnier Biberkopf, avance dans une complexe matière sonore dont le noeud orchestral est la fameuse place qui donne son nom au roman. Carnet en main, depuis plus de 20 ans, Döblin qui se détourne du bourgeois comme des pauses expressionnistes, griffonne compulsivement, tournant sans cesse la tête dans les cafés comme dans les rues, enregistre et écrit ce « tiers espace» sonore (synthèse de points de vue pour reprendre B. Westphal) si original. Sous sa plume, la ville est cette composition musicale, inédite, imprévisible, qui façonne Biberkopf, sujet malade qui, peu à peu, de reste de chants patriotiques (ruines du militarisme prussien, matrice du nazisme) en balbutiements, de dialogues monosyllabiques en digressions d'alcooliques, reprend le couloir de la parole.

Voir la ville : question de vitesse

Mike Davis, Le pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte, 2006.
Olivier Mongin, La condition urbaine, Paris, Point/Seuil, 2007.
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C’est bien ce véhicule fou qui fonce dans le mur et, peut-être, explosera avant d'y parvenir que nous présente Mike Davis. N’a-t-il d'ailleurs pas écrit un ouvrage sur la voiture piégée ? Pourtant, on aimerait que le conteur apocalyptique des errements d'une "bonne gouvernence" libérale, s’arrête, ralentisse, descende de ce véhicule. En somme, qu’il sorte un peu de la bibliothèque et du cercle des intellectuels progressistes aux justes indignations, pour entrer dans la ville du Sud - enfer dont il explore les cercles de loin, de si loin. Qu’il s’insinue dans la chair de la cité hurlante, qu’il étouffe, qu’il ait peur, qu’il sente le sol se dérober; qu'il rit aussi, et partage les colères et les utopies éphémères de la favela globale. Qu’il nomme ceux qui n’apparaissent, dans le livre, que comme des figures détachées de la horde, hors limes, qui gronde et agonise. Qu’il parle, d'homme à hommes/femmes. Mais comme dans Cosmopolis de Don De Lillo, la cadillac noire du pamphlet traverse le monde et l’homme pressé (proche en cela du technocrate de la Banque Mondiale) ne détourne pas le regard des dossiers accumulés.
Olivier Mongin, lui, conduit autrement sa condition urbaine. Le prudent véhicule apprivoise la vitesse de mort, ne customise pas le chaos. Peut-être en reste-on trop à une ville du dessus, à la Arthus-Bertrand, oubliant peut-être là aussi, l'essentiel : l'urbain. Mais Mongin, qui sait prendre son temps, ne nous perd en route, universalise le propos et discerne, malgré les signalétiques confuses qui nous sont égarrent, les moments du voyage où la chaussée s’arrange, ou du moins, peut s’arranger.

Archives nationales portugaises


Je pense à ceux qui ont tamponné ici le monogramme T et en dessous Torre do Tombo, en bleu.

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Tout à côté, une chercheuse consulte des partitions enluminées dans un énorme manuscrit Je suis un peu ébloui et vaguement jaloux. Mes documents, paraissent si banals : rapports administratifs écrits à la machine, tampons, vague signature, en-têtes officiels. Parfois des ajouts manuscrits : précisions à l'encre claire, commentaires signés. Mais derrière beaucoup d'entre eux, les probables séances de torture de la PIDE, la Gestapo de l’époque de Salazar.

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Hall immense et vide. Une femme de ménage astique des fauteuils confortables où personne ne viendra s’asseoir avant longtemps. C’est l’été. Il n’y a que des fous pour venir s’enfermer ici; cette crypte de documents qui vous filent des démangeaisons. Des regalia sont exposés à l'entrée mais seul, le bar m’intéresse.

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Passeport de Noémia de Sousa (l'immense poétesse mozambicaine) où elle sourit et où je touche ses impressões digitais. Emouvant. Comme des reliques. Reliques au-dessus du malheur. Joie simple de ce regard, de côté. Une jeune fille qui déjoue la machine à identifier.
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Je ne demande pas la reproduction de ces photographies : assez de paperasse, d’attente. D'un cliché à l'autre, Noemia embellit, quitte son attitude d'enfant boudeuse. Fin des années 1950, la jeune femme traverse la colère et trouve un visage.

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La petite magasinière a toujours le pied léger. A peine lui ai-je tendu le lourd dossier qu'elle m'en donne un autre. Quel âge peut-elle avoir ? Quel est le secret de sa bonne humeur malgré l'austérité du lieu ?

Notker le bègue

Notker, le bègue dans L’histoire de France de Marc Ferro. Pauvre Notker, moine à Saint-Gall qui n'a droit qu'à une toute petite allusion pour une création si grandiose quand même : "Charlemagne, inventeur de l’école". Son nom, dans l’index arrive tout en bas. Un peu plus haut, il y la famille Nora, les Normands et la Normandie, Nrodom et en dessous, Noury Saïd.

jeudi 3 juillet 2008

Les villes du NON

Le journaliste américain d’origine indienne Suketu Mehta, né à Bombay et revenu vivre à Mumbai, s’insinue dans les failles de la « ville du NON » (Bombay Maximum City, Buchet-Chastel, 2006). Frappé dans le quotidien par l’impossibilité érigée en système, il s’appuie sur les petites stratégies que lui conseillent ses proches, perdant ses illusions, gagnant une écriture, et passe outre.
Il faudrait s’interroger inlassablement sur les « non » de la ville.
Un cran au-delà dans le chaos, le poète Frankétienne ne se demande pas pourquoi la « ville est en panne » (Port-au-Prince), mais « s’envertige » de la voir debout et si vivante entre « la boue et l’or » ("Je m'envertige" in Anthologie secrète, Mémoire d'Encrier).
Il faudrait questionner toujours plus les polarités et les lumières si contradictoires de la ville.

Aristote et les chevaliers teutoniques

Image tirée du film Alexandre Nevski

Au final, la belle saillie qui se voulait conquérante de Gouguenheim (Aristote au Mont Saint-Michel) finit un peu comme la Berezina, avant l'heure, filmée par Eisenstein en 38. On y voyait fuir les chevaliers teutoniques (l'un des thèmes d'étude de l'historien), sur cet air patriotico-ironique orchestré par Prokofiev. Il manquait sans doute à Gouguenheim le sens de l'espace (celui qu'Einsenstein le peintre déploie justement dans le film) pour penser de manière plus sérieuse la circulation du savoir au Moyen Age (relisons Juan Gernet, Libera, Urvoy etc.) et quelques textes de base (sur le monde musulman).


mardi 1 juillet 2008

Dharavi

Il y aurait encore cette saison des pluies qui dessine une autre ville. Détour par Brel : « la pluie traversière/qui bat de grain en grain »("Les Marquises") ou cette pluie intime ("Knokke-le-Zoute Tango"). Réminiscences de Tamatave dans cette photo de la pluie qui tombe avec bonheur sur cette petite fille de Dharavi à Mumbai (19e Visa pour l'image, Perpignan, 2007). La saison des pluies en ville : objet d’étude pour un historien ?







vendredi 27 juin 2008

C'était jour de comice





C'était jour de comice. Les bêtes, elles nous tentaient. Mais l'accès ? regarde toi-même : comment passer ? Les bêtes ? Mais n'es-tu pas l'une d'entre elles ?